PATERNITÉ-AUTORITÉ-RÉVOLUTION.

Publié le par durandal-info

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Chers amis et bienfaiteurs,
 
La Révolution française s’est attaquée au trône pour détruire l’autel. Le démon sait fort bien, en effet, que le surnaturel n’existe que s’il est incarné. De plus, comme le surnaturel échappe totalement à son pouvoir, il s’ingénie à saper la nature : il s’ensuit que le surnaturel s’effondre comme un fragile château de cartes.
 
Peut-être ne prenons-nous pas la peine de nous arrêter suffisamment sur le célèbre adage qui assure que: « le surnaturel ne détruit pas la nature, mais la couronne ». De fait, nous devons nous pencher avec grand soin sur cette destruction de la nature, caractéristique de notre époque et dernier avatar de la Révolution. La ressemblance trinitaire dans les âmes a fait long feu, il s’agit désormais de détruire l’image de Dieu en l’homme et de réduire ce dernier à l’état de bête conduit uniquement par l’instinct sauvage des plaisirs. Comment pourrions-nous envisager de rétablir l’autel si nous ne rebâtissons point le trône au préalable ?
 
Dénoncer la rupture de la tradition de l’Église, aussi grave soit-elle, ne peut désormais suffire pour expliquer le désastre actuel. Les ahurissantes carences que nous constatons dans l’éducation nous obligent à prendre en compte une autre rupture qui concerne également la tradition, mais cette fois-ci considérée sur le plan naturel. En général au sein même de leur propre famille, les enfants ne reçoivent plus cette éducation où l’affection et la fermeté forment un alliage indispensable à leur plein épanouissement.
 
La décadence présente est le fruit de ses deux ruptures douloureuses, lourdes de conséquences. Permettez-moi, pour étayer mon propos, de prendre comme exemple type la crise d’autorité que nous subissons si douloureusement. Il me semble que, grâce à elle, nous pouvons toucher du doigt non seulement le mal profond qui nous gangrène, mais aussi relever les erreurs d’analyse qui peuvent se glisser à propos de la crise présente et, par conséquent, sur les remèdes appropriés pour tenter d’y mettre un terme. Il serait dangereux, en effet, de réduire cette crise à quelques considérations d’ordre général et à nous limiter à en faire une étude éthérée. Il existe, en effet, un risque non négligeable de se contenter de disserter sur ce grave problème en le réduisant à une étude de laboratoire où nous le disséquerions sans grand profit. Il est insuffisant de déclarer gravement que la crise d’aujourd’hui est avant tout une crise d’autorité : n’est-ce point se contenter d’exprimer un lieu commun sans grand intérêt ?
 
La chose serait d’autant plus regrettable que le mépris de l’autorité est, de fait, une des raisons les plus certaines de notre perte. Aussi faut-il traiter ce problème avec soin et en chercher la cause afin de pouvoir y remédier et de redonner à l’homme le sens vital de l’autorité. Comment se fait-il que l’autorité soit si vilipendée et qu’elle soit considérée, même par les meilleurs, comme l’expression plus ou moins latente d’une tyrannie qui n’ose point avouer son nom, alors qu’elle est une réalité sacrée, condition indispensable de l’équilibre et de l’épanouissement de l’homme ?
 
L’autorité n’est une réalité sacrée que parce qu’elle est une participation à la Paternité divine. Mais l’homme moderne, fils de la Révolution ne sait plus ce qu’est la Paternité divine : il vit dans un monde marqué du sceau de la bête où l’on ne distingue plus l’empreinte des attributs divins. La Révolution, enfant de Satan, porte inévitablement les traces de sa filiation ; aussi toute autorité est-elle regardée comme l’expression de la tyrannie impitoyable du Prince des Ténèbres. Et l’homme moderne, vivant sous ce joug diabolique, est habitué à ne voir l’autorité que comme un poids infernal dont il faut se méfier et contre lequel il doit se défendre.
 
La morsure du siècle est si profonde sur les âmes qu’il est insuffisant de prêcher la Paternité divine : l’homme n’est plus en mesure de la connaître car il ne reconnaît plus aucune paternité soit dans l’Église, soit dans les formes de gouvernement, soit chez le père de famille. Terrible constat, car la paternité doit être une réalité tangible, évidente, visible, témoin indispensable de la réalité plus haute de la paternité divine. L’homme se meurt car il n’est, au fond, qu’un orphelin. La véritable crise d’aujourd’hui ne serait-elle point une crise de paternité ?
 
Quelques pages d’histoire nous aideront à répondre à cette question.
 
1 - Dans La Cité Antique Fustel de Coulanges montre très clairement que la force de la Rome païenne reposait tout entière sur sa conception de la famille et particulièrement sur le rôle sacré du Paterfamilias. Il estime qu’il faut chercher dans la perte de ce sens sacré du Paterfamilias la raison profonde de sa décadence.
 
2 - Après la chute de l’empire romain, les hommes se sont réunis autour des abbayes et à l’ombre des châteaux. Il est aisé de comprendre que l’homme, pour sortir du chaos des invasions barbares, s’est placé sous la paternelle et surnaturelle bienveillance du Père Abbé ou a reconnu, par l’allégeance féodale, la paternité naturelle du suzerain.
 
3 - Le roi de France, par l’onction de son sacre, devenait le lieutenant de Dieu, image du Père céleste et son représentant temporel. L’assassinat de Louis XVI est, selon ce point de vue, certainement plus un parricide qu’un simple régicide ; ainsi le comprirent instinctivement les catholiques vendéens et chouans. Le deuil des provinces françaises manifestait la peine d’enfants ayant perdu leur père. La France se meurt, si Elle n’est point déjà morte, de ce crime qui manifestait son refus fondamental de la paternité divine.
 
4 - La Révolution a compris que son œuvre serait caduque si elle ne remplaçait le père qu’elle avait supprimé. Napoléon a été ce père nécessaire à l’enracinement des principes révolutionnaires. Ses soldats lui portaient une affection toute filiale et étaient prêts, pour lui, à faire mille sacrifices sans exclure le sacrifice suprême.
 
5 - La République elle-même, cette « femme sans tête » selon Maurras, car en réalité sans père, se doit pour perdurer de sacraliser l’état. Et si, habituellement, l’on sourit devant cette conception de l’État Providence, comment ne pas y voir une réponse dérisoire, sinon odieuse, à une recherche nécessaire d’une indispensable filiation ?
 
6 - Nous pourrions relever pour mémoire l’ignoble stratagème de Staline obligeant des paysans ukrainiens, qu’il avait cruellement affamés auparavant, à réciter le Pater Noster dans les églises. Ses sbires ne manquaient pas de faire remarquer que le silence divin qui suivait les demandes concernant le pain quotidien était à l’évidence une preuve que Dieu n’existe pas et que sa paternité est un leurre. Ils proposaient alors une nouvelle version du Pater et l’adressaient au « Petit Père des Peuples », titre significatif s’il en est ! Mais, cette fois-ci, des portes s’ouvraient laissant voir une immense quantité de pain…au nom du « Petit Père des Peuples » !
 
Ce bref - et forcément incomplet - survol historique peut nous aider à réaliser combien l’homme a besoin d’un père pour vivre : un homme sans père est un être sans défense destiné à disparaître, un être sans racines ayant perdu tout équilibre.
 
Nous en avons, hélas, la preuve aujourd’hui où nous vivons dans un monde en révolution permanente, dominé par ce joug infernal du protestantisme qui ruine de fond en comble la nature au profit du démon puisque le surnaturel, ne pouvant y trouver un terrain d’incarnation, n’est plus qu’un masque hideux de théâtre.
 
La jeunesse est particulièrement exposée, nous en avons fait la preuve surprenante et douloureuse au cours d’un camp que nous faisions en Europe à la découverte de ses joyaux romans.
 
Après quelques jours de camp où nous avions pu assister aux ordinations à Écône, où nous avions déjà visité quelques monastères et pu admirer la Grande Chartreuse en son cadre magnifique et après avoir effectué un pèlerinage à la Salette, nous nous sommes réunis pour faire un premier bilan. À ma grande surprise, les jeunes avaient été surtout marqués par les deux familles chez lesquelles nous étions passés et qui, très aimablement, nous avaient reçus. L’intimité existant entre les parents et les enfants, pourtant bien ordinaire en elle-même, avait été pour eux une découverte extraordinaire. La conclusion de la discussion fut donnée de manière lapidaire par un garçon de notre camp et reçut l’approbation des autres participants. Il se contenta d’affirmer : « Au fond, nous n’avons pas de parents. »
 
Pendant les deux semaines qui suivirent j’ai voulu reprendre ce sujet délicat, en groupe ou en particulier. Je me suis aperçu alors que, en effet, ces jeunes ne pouvaient absolument pas compter sur leurs parents pourtant animés, comme eux, d’une bonne volonté déconcertante et rare. Mais le puritanisme avait fait ses ravages et ces parents, atteints inconsciemment par ce mal, ne savaient pas entourer leurs enfants d’une affection légitime et nécessaire. Aussi les âmes de ces adolescents étaient-elles douloureusement handicapées car elles n’avaient jamais connu un amour vrai qui donne à toute la personnalité un équilibre indispensable pour affronter ce monde basé sur un amour frelaté.
 
Depuis quelque temps déjà, il nous semblait être un cuisinier qui s’acharnait à faire monter une mayonnaise sans succès. Les matériaux indispensables pour réussir la mayonnaise ne manquaient pas en réalité et il était bien vain de les passer si souvent en revue. Le problème était tout autre : le bol faisait tout simplement défaut ! Nos jeunes gens étaient incapables de recevoir et de retenir par défaut d’âme. Leurs qualités, nombreuses par ailleurs, n’étaient qu’une façade et ne s’enracinaient pas. Non point en raison d’une hypocrisie personnelle, mais parce que le protestantisme avait profondément ruiné leur nature et les en avait dépouillés ne leur en laissant que les oripeaux extérieurs.
 
Nous avons pu vérifier, hélas, à quel point cette courte phrase entendue en camp était exacte. Les conséquences de cette absence de paternité et de maternité sont immenses et difficilement imaginables. Ces enfants sont condamnés à ne jamais devenir des hommes, du moins tant qu’ils ne rencontreront pas d’affection véritable. Et même s’ils la rencontrent, il est à craindre qu’ils ne puissent la recevoir faute de l’avoir connue enfants et de la reconnaître alors. Construire sans tenir compte de cette carence tragique équivaut à fonder sa maison sur du sable. L’absence d’une nature formée oblitère tout effort de volonté, aussi bonne soit cette dernière. Reconstruire la nature en ouvrant l’âme au bien de l’affection est un préalable obligatoire à toute formation surnaturelle postérieure.
 
Cette absence d’affection, remplacée au mieux par un sentimentalisme glauque et sporadique, ne permet pas au père d’exercer son autorité ; il s’en sert par à-coups selon son humeur et ses caprices. Aussi est-il bien difficile pour l’enfant de la respecter, de reconnaître sa nécessité et de s’y soumettre avec intelligence. À ce régime, l’adolescent devient un révolté obligé à contrecœur de plier devant la force, avide secrètement de jouir de sa liberté ! Désormais toute forme d’autorité sera perçue comme une atteinte personnelle et provoquera une réaction interne et cachée de  rébellion.
 
Les enfants, à des titres divers et selon des caractéristiques propres, sont touchés et marqués les premiers par cet esprit de révolte permanente et larvée qui ne produit que des révolutionnaires en herbe. Il est difficile, pour des êtres normalement constitués, de saisir toute l’ampleur de cette catastrophe car cette erreur puritaine se glisse subrepticement, épouse les contours de l’âme blessée par le péché originel et s’introduit dans la place sans crier gare. Apparemment, l’homme âgé de vingt ans aujourd’hui ne semble guère différent de ses prédécesseurs. Cette apparence est trompeuse : derrière la façade ordinaire de l’adolescent se cache une misère d’autant plus grande qu’elle s’ignore – et qui reste, malheureusement, trop souvent ignorée ! Les écoles ne suppléent pas entièrement à cette absence de fondations : il faudrait reprendre l’éducation à la base, apprendre à l’enfant que la vie est un combat contre lui-même et que ce combat, aussi rude soit-il, est la clef de son bonheur, que l’esprit de sacrifice est un ennoblissement de l’âme, que le détail ne doit pas être négligé car il est le terrain de l’incarnation des vertus. Mais, aujourd’hui, les âmes sont chloroformées par le mensonge du matérialisme ; elles négligent le domaine de l’être au profit de celui de l’avoir et les parents ne savent plus que l’éducation de leurs enfants est le résultat de leurs sacrifices consentis. Aussi ne peuvent-ils armer leurs enfants et les préparer aux combats de demain. Seule la réussite importe afin de pouvoir vivre dans une certaine aisance. Comment ces parents pourraient-ils orner l’âme de leurs enfants ? Préoccupés d’eux-mêmes et de leur propre confort, ils ne savent plus aimer leurs enfants de cet amour de bienveillance, mélange d’affection et de sévérité. Le laisser-aller est de mise en éducation comme dans tous les autres domaines.
 
En raison de ces carences profondes qui font de l’enfant un mutilé, peu de jeunes gens aujourd’hui ont eu la grâce d’apprendre sur les genoux de leur mère à admirer leur père et à le respecter avec un amour filial. Nous ne pouvons que le regretter douloureusement car cette première éducation, et elle seule, permet ensuite à l’homme de recevoir avec bonheur une formation qui n’est alors que l’achèvement harmonieux de cette première empreinte.
 
Le puritanisme est le sommet de la Révolution, l’on peut dire qu’elle est la Révolution victorieuse. La Révolution, en effet, ne peut que détruire l’élite lors de ses soubresauts violents mais ne peut empêcher les restaurations futures : la nature demeure, malgré tout, et avec elle ses lois imprescriptibles. Le puritanisme crée une nouvelle race d’hommes qui étouffe la nature profonde de l’homme en lui imposant une nature artificielle où la sincérité remplace la vérité, la jouissance le bonheur et la philanthropie béate la charité. Le puritanisme, philosophie perverse qui agit de manière souterraine, en raison des carences naturelles qu’il provoque détruit tout espoir de restauration, mais non toute espérance de résurrection !
 
La nature est, en effet, inapte à se restaurer elle-même. Seul le surnaturel peut lui porter efficacement secours car elle est l’onguent nécessaire à sa guérison. Il est certain que la nature ne pourra retrouver son harmonie que par la présence de la grâce dans l’âme. Cette présence, pour être efficace, doit être royale : il s’agit de soumettre notre vie à l’empire de la grâce. L’apprentissage de cette soumission est l’œuvre du prêtre et nous ne pouvons que souscrire à cette parole du R. P. de Chivré : « Pour refaire un peuple il faut refaire les prêtres. Et les prêtres ne se refont que dans la pénitence ou le martyre. »
 
Notre effort premier doit donc bien porter sur le Séminaire. Pour refaire ces prêtres dont nous avons vraiment besoin, il nous faut nous pencher sur les carences de notre époque.
 
Renforcer la nature en soumettant l’aspirant à une formation humaine nous semble être la voie dans laquelle nous devons nous engager. Mais afin que nous enlevions toute ambiguïté, précisons que cette formation humaine, si elle comporte des études classiques et certains rudiments du savoir-vivre afin que notre candidat au sacerdoce sache ne point être dominé par sa chair, est avant tout l’occasion de donner une formation spirituelle profonde basée sur l’esprit de foi car comme l’affirme le R. P. de Chivré de nouveau : « rien n’humanise la vie comme le surnaturel ». Lorsque l’on pense que le jeune Joseph Sarto a dû suivre deux années d’humanité au début de son séminaire, on ne peut que rester songeur en comparant le niveau des études, l’équilibre des générations en présence et l’esprit chrétien de ces deux époques…
 
Notre espérance reste intacte car il est certain que la grâce de Dieu peut faire surgir de cette génération des prêtres aptes à entrer dans l’arène qui seront redonner à ce monde blasé le sens de Dieu, de Sa Paternité divine.
 
Oremus ; en cette veillée d’armes ou demain de jeunes lévites recevront la grâce de l’onction sacerdotale, ici
, nous avons grandement besoin de prières, de vos prières.
                 
 
In Christo Sacerdote et Maria.
Abbé le Roux +                      
 


Publié dans société

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